SOCIALISTES, ESSAYEZ LA DIFFERENCE !
Nous vivons un moment unique dans une vie de militant. Sous nos yeux, une crise majeure se déploie et nous appelle à prendre nos responsabilités. L’intérêt de ce moment que nous vivons est moins la satisfaction de voir que cette crise valide les analyses et propositions que nous faisons depuis plusieurs années, mais que cette crise affirme la nécessité de construire un monde nouveau. En tant que socialistes, nous devons prendre à bras le corps cette occasion pour mettre en œuvre nos idées de transformation sociale.
L’inquiétude qui est la mienne au moment où je vous parle, c’est que les salariés que je rencontre dans toute la
France, des salariés qui luttent pour leur emploi et leur pouvoir d’achat, ces salariés ont peur de l’avenir. Et je sais que la peur, qui précède souvent la révolte, n’est pas une bonne conseillère. Il est loin d’être acquis que de la crise, de la peur, surgira nécessairement un progrès, il n’y a pas d’automaticité. Je le dis avec gravité et solennité : nous avons une immense responsabilité politique qui consiste à proposer des réponses politiques, un espoir, contre la violence de la crise sociale qui va s’ancrer en France, et contre le déclassement social programmé de millions de nos concitoyens qui risquent de prendre un ascenseur social ne les conduisant plus que vers le bas.
Nous allons sans doute au‐devant d’une grande catastrophe sociale. Je ne m’en réjouis pas. Je constate simplement qu’elle donne enfin l’occasion de se pencher sérieusement sur ce qui ne va pas dans notre société. Et il n’y a pas de grande crise sociale sans crise politique, car face aux difficultés, le risque est grand que beaucoup de Français, parmi ceux qui souffrent le plus, considèrent que leur bulletin de vote ne sert plus à rien, que la démocratie est stérile.
Regardons ce qui se passe déjà ailleurs en Europe, où des forces politiques racistes, xénophobes, anti‐démocratiques, ont désormais le vent en poupe, notamment auprès des jeunes et des classes populaires. Ne croyons pas trop vite que ce qui s’est déjà exprimé pendant plus de vingt ans dans le vote extrémiste en France soit désormais derrière nous.
La responsabilité de la gauche s’est de se tourner enfin, franchement, vers ceux qui ont besoin de nous. Nous avons l’exigence de leur parler de leurs difficultés concrètes, de leur donner des réponses efficaces, de s’intéresser prioritairement à leur avenir. Nous avons l’exigence d’incarner un espoir, et non pas de nous replier derrière des logiques gestionnaires, qu’elles soient locales ou nationales. Malheureusement, notre parti donne trop souvent le sentiment d’être une gauche rassasiée, repue, indifférente au sort des hommes et des femmes de ce pays, d’abord préoccupée par son nombril. C’est avec cette gauche rassasiée que nous avons le devoir de rompre à l’occasion de ce congrès.
L’intérêt particulier du contexte, c’est que nous sortons enfin des faux débats entre socialistes. Nous sommes tous réformistes depuis 1920, c’est dans notre patrimoine commun et assumé. Aujourd’hui, les faits nous donnent raison, nous qui critiquons depuis longtemps la logique de ceux qui renoncent trop facilement à comprendre le monde et qui ne savent plus sur quoi exercer leur réformisme lorsqu’il s’agit d’économie. Avec la crise financière et sociale, avec la nécessité d’apporter des réponses à hauteur des enjeux, la crédibilité a changé de camp. C’est ce que nous sommes et ce que nous représentons qui nous autorise aujourd’hui à proposer les réponses les plus crédibles et les plus efficaces pour mieux réglementer les marchés financiers et pour restaurer la cohésion sociale.
Nous sommes crédibles car nous sommes cohérents avec les causes et les conséquences de la crise. C’est pourquoi nous sommes les mieux armés pour faire face au véritable « renversement de cycle » enclenché par la crise financière et économique actuelle. Bien sûr, d’autres responsables socialistes affirment aujourd’hui la nécessité d’un « pôle financier public », d’un moratoire sur les licenciements boursiers et les délocalisations, de restrictions au libre échange…mais ils ne vont pas encore assez loin dans les réponses.
Il faudra bien par exemple agir sur la répartition de la valeur ajoutée entre le capital et le travail. Cela devra se faire au niveau européen car il faut contrer la stratégie économique de l’Union européenne qui favorise la compression des revenus salariaux ; lors de leur prochaine campagne pour les élections européennes, les socialistes devront donc, s’ils veulent être cohérents, afficher leur volonté de rompre avec les dogmes, le mandat et les statuts de la Commission comme de la Banque centrale européenne. Nous aurons besoin pour cela d’instaurer un véritable rapport de forces politique en Europe, et de nous mobiliser collectivement au‐delà des divisions du « oui » et du « non ». Mais nous devrons également dire clairement que l’on ne peut plus attendre un certain nombre de progrès d’une Union européenne à 27 ; la stratégie de progrès et de développement devra reposer sur un groupe restreint de pays volontaires pour coordonner leurs politiques économiques, engager l’harmonisation fiscale, préserver leur modèle social, protéger leurs travailleurs…
Les circonstances posent également la question du libre‐échange, celle qui permet à certains de nous dépeindre comme de dangereux protectionnistes, voire des nationalistes quand ce n’est pas comme des bellicistes ! Tout démontre aujourd’hui, que ce soit dans la crise financière ou dans les catastrophes industrielles en cours en Europe ou aux Etats‐Unis, que le libre‐échange généralisé n’est plus adapté à un fonctionnement harmonieux de l’économie mondiale, et qu’il entraîne des catastrophes sociales que nos concitoyens ne sont plus prêts à accepter. Et malgré cela, nous devrions continuer de le considérer comme un dogme en Europe et en France, alors même que certains de nos concurrents économiques s’en affranchissent en pratiquant le dumping social, fiscal ou environnemental ? Oui, nous voulons des restrictions au libre‐échange au niveau européen car elles seules peuvent nous garantir, dans la compétition économique mondiale, que notre pays ne sera pas bientôt un champ de ruines peuplé de chômeurs.
Nous assumons pleinement que c’est sur cette question du libre‐échange que la crédibilité et la cohérence du projet politique des socialistes sont désormais principalement posées. Mais il y a d’autres questions qui appellent de la crédibilité et de la cohérence de la part des socialistes… Etre politiquement crédible aujourd’hui, cela veut dire que l’on ne peut pas être d’accord avec Nicolas SARKOZY. Et on ne peut être de gauche tout en se disant compatible, sur tel ou tel sujet ou au nom d’un prétendu « intérêt général », avec Nicolas SARKOZY. Ceux qui le disent, puisqu’il s’est toujours trouvé, depuis un an et demi, au moins un socialiste pour être d’accord avec Nicolas SARKOZY, ceux‐là nous ont fait beaucoup de mal et ils n’auront aucune place dans la nouvelle direction du PS. La droite qu’incarne le président de la République est dure, radicale quand elle n’est pas vulgaire. Avec cette droite, aucune forme de solidarité n’est possible. Les lois liberticides qu’elle met en œuvre devraient suffire à nous en convaincre et à dresser une barrière infranchissable : j’en veux encore pour preuve la chasse aux immigrés qu’elle n’a de cesse d’organiser.
Pour les socialistes, la cause de la liberté est intangible, et elle se conjugue depuis les origines de notre mouvement avec celle de l’égalité et de l’émancipation sociale. Le PS doit comprendre que là est son combat.
Cela semble évident de le dire, mais ce n’est malheureusement pas une évidence au PS, et on ne peut faire l’économie d’une critique de ceux qui dirigent le PS depuis des années. C’est comme si nous avions une « génération maudite » à la tête de notre parti, qui semble ne pas comprendre que le peuple l’a sanctionnée à deux reprises en 2002 et 2007.
Comme elle ne comprend pas, elle semble parfois vouloir régler des comptes avec ce peuple qui lui aurait manqué.
J’ai au contraire la conviction que nous avons perdue parce que nous avons manqué au peuple sur des questions
essentielles comme les salaires, la cohésion sociale, la diversité… Nous perdons les élections parce que notre projet de crée pas d’espoir. Et comme nous ne voulons pas comprendre pourquoi nous perdons, nous sacrifions notre candidat lorsqu’il ne se sacrifie pas lui‐même… Au fond, on fait comme si on changeait pour que rien ne change.
Alors que le monde change autour de nous, rien ne serait pire qu’à l’issue de ce congrès, rien n’ait changé au PS. Il y a de multiples raisons d’avoir confiance dans la capacité du PS à changer et à être à la hauteur de ses responsabilités.
Les militants, qui sont souvent en première ligne lorsqu’il faut défendre nos positions ou nos grandes réformes
comme les 35 heures, et qui le sont d’autant plus lorsque leurs dirigeants sont absents de ces combats ! Les élus, à la tête de leurs collectivités locales, eux aussi en première ligne pour réparer les dégâts de la politique de la droite ou pour préparer une alternative. Les parlementaires, qui mènent face au Gouvernement des combats difficiles parce qu’ingrats et peu connus du grand public.
Mais ce qui manque aujourd’hui au PS, c’est une orientation claire et combative. Je vous le dis à vous tous qui vous êtes mobilisés autour de notre motion, et je le dis en pensant à ceux qui en ce moment défendent notre orientation dans les sections et fédérations : nous avons d’ores et déjà gagné la bataille des idées. Ils sont tous venus à un moment ou à un autre sur notre ligne politique car elle est la seule à être à la hauteur des circonstances. Leur transhumance précipitée de la droite vers la gauche ressemble d’ailleurs moins à celle des éléphants qu’à celle des gnous. Après des années d’une lente mais certaine dérive du PS vers sa conversion aux recettes économiques libérales, nous voici tous devenus adeptes d’une réglementation résolue de l’économie et de la finance ! Mais je ne veux pas faire de procès en « insincérité », cela fait seulement de moi un premier signataire de motion heureux.
Cette première victoire est notre force mais nous devons nous assurer que cette conversion n’est pas celle d’un instant et qu’elle ne durera pas que le temps d’un congrès. L’orientation que nous portons doit devenir le projet politique durable et collectif du PS. Ce doit être la ligne d’une direction cohérente et renouvelée, quand certains résument l’enjeu du congrès au choix d’un chef dont les militants auraient besoin avant toute autre chose ! C’est pour cette raison que je vous appelle, que j’appelle les socialistes au vote utile, au vrai vote utile dans ce congrès.
Le vote utile, c’est celui qui permettra au PS de revenir au centre de gravité de la gauche, au cœur des classes
populaires et des classes moyennes. Avec la ligne politique qui est la nôtre, le PS sera le mieux armé pour répondre aux questions qui traversent toutes les forces de la gauche politique ainsi que les mouvements sociaux et associatifs.
Reconnaissons que sur les questions essentielles du rôle de la puissance publique, de la démocratie et de notre
capacité à instaurer une 6ème République, de la question sociale, de la réorientation de la construction européenne…sur toutes ces questions, tous les militants de gauche sont interpellés de la même façon et c’est pourquoi notre priorité doit être le rassemblement de la gauche.
Cette ambition ne peut pas souffrir d’ambiguïté. C’est pourquoi je regrette profondément nos tergiversations vis‐à‐vis du MODEM. Souvenons nous quand même qu’il a été proposé à François BAYROU, entre les deux tours de l’élection présidentielle de 2007, de mettre en œuvre le programme de la gauche au Gouvernement ! Il faut le dire clairement :
La stratégie du PS est et doit demeurer celle du rassemblement de la gauche. L’alliance avec le MODEM n’est
souhaitable ni au niveau local, ni au niveau national, car cela revient à faire incarner l’espoir et à confier la victoire à d’autres qu’à nous‐mêmes. La clarté sur cette question est essentielle, et le prochain Premier secrétaire du PS devra lui‐même incarner cette clarté, pour éviter toute confusion lors des prochains scrutins, notamment pour les élections régionales ; il en ira sans doute de son autorité sur tout le parti. Le PS ne peut pas redevenir, comme l’était la SFIO, un parti d’alliances à géométries variables.
Le vote utile est celui qui réaffirme la place centrale du PS dans le rassemblement de la gauche. Je le dis au passage car on me l’a fait remarquer : je ne suis pas l’arme anti Besancenot du PS ; si je dois être une arme, c’est une arme anti Sarkozy que je veux être. Qu’on ne me demande pas d’éteindre le « feu » Besancenot ! Ce qui m’intéresse, c’est d’éteindre le « feu » Sarkozy ! Mon problème n’est pas le NPA. S’il ne veut pas dépasser le stade de la contestation et s’il ne veut pas prendre ses responsabilités, c’est son problème, pas le mien ni celui du PS. Je sais en revanche que nous ne pouvons nous passer d’aucun militant de gauche dans les circonstances actuelles qui sont celles d’une résistance à la droite, et que notre énergie doit être entièrement consacrée à nous opposer à Nicolas SARKOZY et à convaincre les Français d’avoir confiance en nous.
Demain, lorsque nous reviendrons au pouvoir, ce sera évidemment dur de réformer et de répondre aux espoirs. Ce sera dur, car nous serons alors dans la France d’après‐Sarkozy, ravagée par la crise sociale, par le démantèlement des services publics, par l’étouffement des collectivités locales, et même par l’immoralité de son comportement politique.
Mais nous devons être prêts à surmonter cette épreuve car nous le devons. Tout dépend de nous. Je sens bien que quelque chose se passe au sein du PS.
Alors, je le dis encore aux militants socialistes et à travers eux aux Français :
choisissez le vote utile pour que le PS redevienne l’outil privilégié de l’espoir que nous devons retrouver
collectivement.
Socialistes, essayez la différence pour avoir de nouveau « un monde d’avance ».
BENOIT HAMON